Comme les pirates, on ne l’a pas vu venir dans la brume de janvier.
Et à la fin, ce fut l’abordage ; tout le monde a voulu sa part du butin et le financement a explosé à plus de 4000% du seuil escompté ! Tortuga 1667 a fait une razzia sur Kickstarter ; comme un vrai jeu de pirates !
Quand Travis et Holly, les auteurs/éditeurs du jeu, ont lancé leur campagne KS à la mi-janvier, avaient-ils conscience du succès qu’ils allaient rencontrer ? Sans doute étaient-ils confiants car ils avaient fort bien préparé leur coup.
A la base, ils bénéficiaient d’une première expérience réussie sur Kickstarter avec le jeu Salem. Un jeu fondateur qui posait la marque de fabrique de leur maison d’édition : des jeux présentés dans une boite « faux livre » et une mécanique de votes secrets pour des parties avec de nombreux joueurs. Salem a surement constitué la fan-base qui a appuyé le bon démarrage de Tortuga 1667.
Mais il y a bien d’autres éléments qui semblent avoir contribué au succès indéniable de ce jeu fait de coups bas, de trahison, de votes et de mutineries.
Le premier, le plus évident, est la qualité du matériel. Une boite « faux-livre » à l’ancienne, élégante et surprenante, qui peut se démarquer dans une ludothèque ou s’intégrer dans une bibliothèque. Le tapis de jeu en néoprène ajoute un plus indéniable à la qualité du matériel (sac en toile et petits coffres en bois peints, etc.) et au confort des joueurs. Les illustrations sont de toute beauté et parfaitement mises en avant. Le thème de la piraterie est en adéquation avec la mécanique du jeu. S’il regroupe de façon fictive des pirates notoires, c’est pour ajouter un background documenté qui peut servir un projet éducatif. Bref, le jeu hisse pavillon noir dès le début et se démarque visuellement.
Il vient aussi proposer un jeu par équipes pour de nombreux participants, à base de votes où chacun est secrètement loyal à une des deux factions principales. Il faut écouter, discuter, et deviner qui est avec qui à bord du même bateau ou sur l'île de la Tortue. Un jeu atypique dans le paysage ludique de janvier 2017 sur Kickstarter.
Sur le plan pragmatique, le jeu est à un prix abordable, et même attractif en Early Birds (qui ont duré 3 jours !), ce qui fait agréablement écho à la qualité du matériel. Le chant des sirènes se fait entendre par les joueurs. Du coup, le démarrage de campagne fut tonitruant... comme un boulet de canon ! Les Stretch Goals (bonus) sont débloqués les uns après les autres en quelques jours.
Parlons-en des bonus ! Une carte, c’est tout ? À débloquer tous les $15.000... Ce qui pourrait faire chiche se révèle attractif puisque ce sont des cartes qui viennent bouleverser la situation de jeu.
Les errements de la campagne ont également contribué à sa popularité et à son succès.
Un bonus (la carte Gunpowder / poudre noire) dont la règle évolue ; ce qui fait bouger un autre bonus (les chaloupes en bois, qui sont offertes puis remplacées par un autre pion, le jeton explosion), reporté en objectif final. Un long débat sur la présence de pions classiques, qui a suscité de nombreuses solutions de remplacement.
Face à cela, il faut saluer la gestion de la campagne et la communication mises en place par Travis, toujours très présent et à l’écoute. A l’écoute, certes ; mais, surtout, il a joué son rôle de capitaine, tenant le cap de ce qu’il avait prévu sans se laisser déborder par l’engouement des souscripteurs. Il a tenu ferme sur la qualité des pions, qu’il ne voulait pas changer. Il a refusé toute idée de bonus qui remettait en cause l’équilibre du jeu. Il pouvait se le permettre dès qu’il a vu, rapidement, que sa campagne de financement allait au-delà de ses objectifs.
Du coup, dans le ventre mou de la campagne (somme toute relatif : le financement quotidien tournait tout de même à $5000 par jour !), il a su relancer la dynamique. Et hop ! un petit concours sur BoardGameGeek ! Et re-hop ! quelques judicieuses interventions sur Reddit ! Et dix de der-hop ! je sors de mon chapeau une règle pour jouer à 2 ou 3 joueurs qui offre une tout autre expérience et, surtout, qui attire tout de suite de nombreux nouveaux backers [NDLR : l'effet sur la courbe de financement est impressionnant. Annonce le 7 et boom ! le 8). Il a su aussi intégrer la possibilité d’ajouter Salem dans le pledge, ce qui était réclamé. Il a proposé des pledges pour 4 ou 10 boites, favorisant les commandes groupées. A l’écoute, donc. Mais en rappelant en permanence qui était « à la barre » ; et cela est finalement un élément rassurant pour le souscripteur.
Une campagne de pirate ?
A posteriori on peut se demander à quel point le jeu a été partiellement vidé et re-rempli. Sans doute est-ce cela qui a constitué la première vague de bonus, jusqu’au seuil des $100.000 de financement. En tout cas, cela ne s’est pas réellement senti, grâce à la rapidité de financement et à l’art de la communication tout sourire de Travis (Il y a du Errol Flynn dans l’image qu’il donne de lui sur Kickstarter), sans concession inutile. Peut-être étions-nous aussi éblouis par la qualité du matériel ? La suite relève d’une intelligente adaptabilité.
La fin de campagne est également remarquable : tous les Stretch Goals sont atteints ? Plutôt que d’alourdir le jeu et de forcer encore le financement, Travis s’offre le luxe de donner 3 bonus durant les 3 derniers jours de campagne. Cadeaux ! Ce seront des aménagements cosmétiques certes, mais cette générosité est toujours appréciée. Voilà une belle manière de capitaliser pour l’avenir puisque Tortuga 1667 se veut le premier tome d’une série de jeux à venir.
Au final, l’engouement est énorme, le financement explose dans les 72 h dernières heures de campagne, comme si on avait jeté une torche dans la Sainte-barbe (la soute à munitions). Plus de 11 000 souscripteurs pour un financement qui dépasse les $400.000 : bien loin des $10 000 initialement demandés...
La campagne aurait pu paraître monotone, mais c’était sans compter avec la détermination du porteur du projet, sa roublardise aussi (ou son talent pour le marketing si vous préférez), son écoute et son sens du timing. Ce qui se profilait comme un petit sloop côtier est devenu un splendide trois-mâts, avec au moins 3 rangées de sabords, qui mériterait peut-être le nom de « perle des 7 mers », un nom de navire pirate assurément !
Reste à présent à ce que la livraison se fasse à bon port, en évitant les récifs habituels. Il y avait eu apparemment quelques soucis avec Salem [NDLR : pas d'info là-dessus, le jeu semble au contraire avoir été livré selon les promesses en novembre 2015]. Là, la quantité de backers devrait être un autre challenge à relever. La rançon du succès. Mais les pirates s’y connaissent en rançon !
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