Article last minute, il ne reste plus que 24h pour soutenir, ou pas, ce projet.
Voilà une campagne qui pourrait très bien servir de référence pour de nombreux porteurs de projets sur Kickstarter. Sinister Fish, sans être un inconnu ni un novice, est un éditeur jusqu’alors peu connu sur la plateforme de financement. Leur seule autre campagne de crowdfunding date de 2016 et avait réuni un peu plus de 500 souscripteurs.
Avec Villagers, il rassemble plus de 12 000 souscripteurs pour atteindre un financement qui devrait avoisiner les 400 000 € (l'objectif initial était fixé à moins de 9000 €). La performance est impressionnante. Elle l’est encore plus quand on regarde le déroulement et la progression de la campagne en elle-même.
Ahh, la campagne !
Le démarrage fut rapide et efficace. Le financement est atteint en 3 heures et la première journée fait état de 600 souscriptions. Bien des campagnes font de même. D’ailleurs, comme pour tant d’autres, la dynamique se tasse les jours suivants. Là où cela diffère, c’est qu’elle se stabilise à 200 nouveaux souscripteurs chaque jour durant les deux premières semaines et qu’elle rebondit en milieu de campagne pour accueillir jusqu’à 600 nouveaux backers par jour durant la troisième semaine. Au lieu de subir un creux, le fameux « ventre mou », Villagers mobilise l’attention et accélère son financement pour atteindre plus de 4000 fois la somme initialement souhaitée.
Certains avancent comme explication que Sinister Fish bénéficie d’un large fichier de prospects. Il faut dire qu’ils sont les fabricants d’un pack de stickers repositionnables pour Gloomhaven, un des jeux les plus appréciés par la communauté des joueurs (il est n°1 du classement BoardGameGeek). Et la campagne de re-print a obtenu le soutien de plus de 40 000 souscripteurs. Comme l’expliquait Thierry*, la cible de Gloomhaven est plutôt le joueur confirmé qui fait référent et qui se tient au courant de l’actualité du secteur du jeu de société. Cette base conséquente de backers potentiels pour Villagers peut raisonnablement expliquer son bon départ et le regain de dynamique.
Jour de marché
L’animation constante de la campagne sur et en dehors de Kickstarter est sans doute un des points qui participent le plus à ce succès. Dave Clarke a su maintenir le rythme de financement sur les deux premières semaines ; suffisamment pour que les paliers des Stretch Goals soient régulièrement atteints, tous les jours ou tous les deux jours au plus. Petit à petit, l’offre s’est raisonnablement étoffée, soit avec de nouvelles cartes et extensions, soit avec des améliorations de la boîte, comme les intercalaires de rangement ; une idée astucieuse car pratique pour la mise en place et le rangement rapide du jeu (demandez ce qu’ils en pensent aux joueurs du 7ème Continent !).
Dave et Haakon, l’auteur norvégien de Villagers, se relaient et se complètent pour faire le show et répondre aux backers comme aux curieux. Cela se fait dans les commentaires bien sûr, mais aussi à travers les actualités régulières et un ou deux "live". Les deux compères parlent du jeu et d’eux-mêmes, développant au passage un joli capital sympathie.
Ils montrent qu’ils vont à la rencontre des joueurs et médiatisent la présence de Villagers à la UK Games Expo. Ils y reçoivent d'ailleurs la visite (et donc la caution) d’Isaac Childres, l’auteur de Gloomhaven. S’ils n’ont sur place que deux tables de démonstration, celles-ci n’ont pas désempli. Cela leur a permet aussi de recueillir de nombreux commentaires positifs, voire élogieux. La présence à la UK Games Expo correspond au regain de souscription constaté. À ce moment-là, la boîte est belle et bien faite. Son petit plus ? le coffre de pièces en bois qui remplace la monnaie en carton du jeu et qui est prévu pour se loger dans la boîte avec les cartes.
Le héraut du village
Par sa communication, Dave Clarke a su capitaliser sur la dynamique de départ, la maintenir et la renforcer jusqu’à faire de Villagers LA campagne où il faut être en ce moment. Parce qu’il s’y passe toujours quelque chose. Et parce qu’on y est, on prend le temps d’évaluer l’offre, tout à fait acceptable pour un jeu tel que Villagers.
Celle de base se situe à 25€ pour des frais de port supplémentaires de 5€. Le pledge le plus attrayant reste celui qui associe le jeu et un coffre de pièces en bois, qui fait tout de même grimper la facture aux alentours de 40€ fdpin. Les autres niveaux de souscription ne sont intéressants que parce qu’ils permettent de se grouper à deux ou plus pour obtenir le jeu et les fameuses pièces.
Un jeu à bâtir
Tout cela peut aussi se faire parce que Villagers est un bon jeu de draft et de construction de tableau.
À partir de cartes de départ, chaque joueur doit choisir les villageois qui vont rejoindre la communauté pour l’enrichir ou lui permettre de s’agrandir. Car pour pouvoir poser de nouvelles cartes sur son tableau de jeu, il faut avoir suffisamment de symboles nourriture et de symboles construction.
Et le tableau évolue au fil du jeu : une carte posée sur une autre annule et remplace son effet. Tout en agrandissant son village, il faut donc veiller à augmenter sa capacité en nourriture et en accueil de nouveaux arrivants afin de pouvoir récolter un maximum d’argent quand le scoring intermédiaire et celui de fin se déclenchent.
À cette mécanique de draft s’ajoute un joli effet de déverrouillage : on ne peut poser certaines cartes qu’à la suite d’autres, à la manière d’un arbre d’évolution technologique. De plus, certains personnages autorisent la pose de nouvelles cartes contre monnaie sonnante et trébuchantes. Il est bon de les avoir dans son village pour renforcer son moteur de ressources ; et d’éviter d’avoir à payer un tribut à la banque ou, pire, à un adversaire pour placer sa carte.
À l’image des illustrations très épurées, les règles sont simples et claires, facilement assimilables malgré les nombreux ajouts de cartes et de possibilités obtenus en Stretch Goals. Les vidéos de gameplay et les reviews ont-elles aussi bien fait leur travail. Mais il faut le souligner, cela s’avère possible parce qu’il y a, à la base, un jeu bien rôdé, accessible et attrayant. Il offre plusieurs chemins vers la victoire ce qui en renouvelle l’intérêt.
Reste à voir ce que vont donner les dernières heures de la campagne, par curiosité. Vu que celle-ci déjoue malicieusement tous les archétypes, il faut voir si elle va bénéficier elle aussi d’un rush final, jouant sur sa réputation de campagne tendance.
Un village français ?
Quant à décider s’il faut en être en tant que français, la question est à mesurer. Le porteur du projet a annoncé avoir reçu des propositions de localisation pour plusieurs pays, sans rien préciser. Il évite ainsi de voir des souscripteurs se retirer pour attendre une version boutique dans leur langue. Par ailleurs, Dave Clarke a confirmé que les règles et les textes des cartes seraient traduits en français et disponibles en pdf (à télécharger). Cela devrait être suffisant pour pouvoir jouer à Villagers et comprendre les imbrications des cartes entre elles.
Village du Monde
Villagers devrait rester assez longtemps dans le panthéon de Kickstarter pour ses performances, mais aussi pour son déroulement. Nul doute que ce succès fut bien préparé et planifié, qu’il ne doit rien au hasard ou presque. Mais il y a eu également une belle orchestration des facteurs positifs pour créer un véritable engouement, une « hype » originale que bien des porteurs de projets seraient heureux de reproduire. Les backers, eux, à la réception de la jolie boîte, pourront dire, en plus de jouer, qu’ils font partie de ce fameux village d’envergure internationale.
Pour en savoir plus :
le forum où on en discute.
Et la page KS pour soutenir Villagers.
* Note de Thierry : Je pense en effet que disposer d'un fichier de joueurs ayant acheté Gloomhaven et investissant dans des stickers pour pouvoir y rejouer plusieurs fois revient à posséder une mine d'or. Ceci dit, cet argument justifiait l'excellent départ de campagne avec des journées à 200 backers. L'explosion du milieu, avec des journées à plus de 600 demande un peu plus qu'un bon fichier (euphémisme, la seule campagne dont je me rappelle avoir tourné à ce rythme en milieu de campagne, c'est Secret Hitler s'appuyant sur l'immense communauté de Cards Against Humanity).
La seule certitude, c'est que cette campagne sera décortiquée. Le monsieur n'a rien fait d'extraordinaire, rien promis de foufou, pas reposé sa communication sur une publicité de masse. Mais il a fait les choses particulièrement bien : les news sont des modèles du genre à mon avis, associant l'auteur, le jeu et la communauté avec un ton juste, humain, didactique et drôle. Toujours proche, familier, amical. Jamais ennuyeux, juste ce qu'il faut de gameplay pour intéresser mais pas trop et, surtout, le minimum vital de commercial (et même moins que le minimal !).
Parfois naïf même, ravi de sa bonne fortune et partageant ce bonheur, simplement. Ça se ressent à tous les niveaux : les news, les commentaires ou les vidéos (très bel outil, trop rarement utilisé -mais c'est un outil difficile; sans doute le plus délicat). Si vous envisagez de proposer un jour un projet à financer, lisez, relisez, visionnez, apprenez par cœur chaque seconde de cette campagne et décortiquez-là. Il vous manquera certes la mine d'or; mais ce que Sinister Fish en a fait est juste exceptionnel.
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GeekLette
je viens très très souvent sur le site, je pensais avoir déjà un compte 🙂 surtout pour les articles hebdo des KS en cours, à suivre etc… je ne vais pas à PEL je suis en séminaire :'( je serai à Essen par contre 😉
Degrimo
C’est un plaisir de t’avoir parmi nous ! Qu’est-ce qui t’a motivé pour franchir la porte ?
et pour se retrouver autour d’un jeu, serait-ce envisageable à P.E.L. ?
GeekLette
J’étais persuadée d’avoir déjà un compte chez vous, erreur corrigée 🙂 vous m’avez convaincue, j’ai dépassé mon quota de dépenses mais tant pis 🙂 bravo pour votre site et votre travail régulier. je suis allée sur le tipeee 🙂 A bientôt autour d’un jeu ? Essen ?