Qui n’a jamais rêvé de voir un de ses rêves devenir réalité ? David Ausloos et le trio de la jeune maison d’édition Sylex sont sur le point de le faire avec Dreamscape pour ce qui est leur première campagne de crowdfunding sur Kickstarter. Sous ce joli thème onirique se cache-t-il un jeu soporifique ? Ou, au contraire, Dreamscape vous sert-il, sur un plateau, l’occasion de vérifier si Morphée est, lui aussi, amateur de jeu de société ?
Dreamscape se joue à la fois sur un plateau central, le monde des rêves, et sur des plateaux individuels où chacun peut construire à sa guise un paysage apaisant et ressourçant. Ce paysage de rêve peut évoluer durant les 5 tours que dure la partie afin de composer un maximum d’aménagements.
Se laisser aller
Le tour de jeu se compose de deux phases. La première, le voyage dans le monde des rêves, permet au joueur de consommer ses 5 actions pour se déplacer, prendre un fragment de rêve ou appliquer le pouvoir du lieu dans lequel il se trouve. À cela, il peut combiner autant d’actions gratuites que la situation lui permet de faire comme un déplacement pour entrer dans un autre lieu grâce à un fragment dont il dispose déjà.
Mais, pour récolter ces fragments, il y a quelques contraintes à respecter. Le joueur doit obligatoirement prendre le fragment le plus à droite dans la file et il ne peut pas prendre plus de deux fragments de la même couleur. Chaque lieu permet d’activer un pouvoir, comme par exemple celui de réagencer une file de fragments.
Certains lieux ont un pouvoir lié à la seconde phase, dite phase de création. Celle-ci consiste à construire son rêve avec les fragments obtenus. Là encore, certaines actions de pose sont gratuites, d’autres coûtent un fragment à défausser (comme planter un arbre) ou une action.
L’ensemble permet de construire en 3D un paysage avec des fragments d’eau, d’herbe, de pierre etc. pour créer des rivières, des îles, des montagnes et des chemins sur lesquels notre rêveur peut déambuler et admirer son environnement, grâce aux fragments blancs dont c’est le rôle. Ces paysages nous sont proposés via des cartes de rêves. Celles-ci offrent également un espace de stockage d’un fragment, doublé d’un pouvoir à appliquer lors de cette phase de création et, bien sûr, un certain nombre de points de sommeil comme autant de points de victoire. Pour les gagner, il convient de réorganiser le paysage pour reproduire à l’identique les cartes des rêves.
Quand l’une d’elle est réalisée, le joueur peut en piocher d’autres selon le numéro du lieu où il se trouve. Cependant, il n’en garde qu’une seule. L’avantage de pouvoir choisir est de prendre une carte des rêves dont la configuration est proche de celle de votre paysage du moment. Il n’y aura qu’un minimum de réorganisation à faire.
J’irai au bout de mes rêves (même si le temps presse)
Les deux phases sont intimement liées pour parvenir à réaliser les rêves les plus nombreux possibles mais aussi les plus profonds et les plus apaisants (il y a 3 niveaux de cartes, correspondant à un sommeil de plus en plus gratifiant). Enfin, pour finaliser son score de points de Rêve à l’issue des 5 tours, il faut voir si le paysage final répond aux exigences des 4 tuiles choisies aléatoirement en début de partie et qui font figure d’objectifs communs.
Les règles avancées ajoutent Monsieur Cauchemar qui bloque le pouvoir d’un lieu et distribue aux rêveurs des fragments de cauchemar. Il faudra s’en débarrasser pour limiter la perte de points qu’ils engendrent.
Sweet dreams (are made of...)
Voilà brossées de façon succincte les règles, entre pose d’ouvriers et optimisation. Car celles-ci sont assez denses tant il y a de choix et d’imbrication. Dreamscape offre une expérience de jeu abstraite qui le situe dans la catégorie Expert. La difficulté vient de la très grande liberté dans le choix des actions proposées, qu'il faut soigneusement optimiser pour obtenir les fragments de rêves essentiels à la réalisation des paysages.
Tout l’intérêt d’une partie est de savoir enchaîner actions allouées et actions gratuites pour maximiser la récolte des fragments puis les placer à bon escient, quitte à se défausser de quelque uns. Certaines actions obtenues lors de la phase voyage permettent d’agrémenter notre paysage en perpétuel évolution lors de la phase création. Non seulement enchaînement des actions est important mais choisir le lieu final de destination l’est tout autant.
Entre toutes ces actions à effectuer, on pourrait aisément perdre le fil; un petit compteur présent sur les plateaux individuels permet heureusement d'en tenir le compte. Les actions possibles et leur ordre d’activation demandent une sérieuse réflexion avant d’agir, histoire de ne rien oublier.
Chaque élément du jeu offre plusieurs fonctions et c’est ce qui rend si délicat l’élaboration de son tour. Pour chaque arrivée dans un lieu, pour chaque récolte ou usage d’un fragment, il faut envisager les différentes façons de les utiliser et combiner l’ensemble.
La partie ne dure que 5 tours durant lesquels la concentration est mise à rude épreuve !
Il se dégage de tout cela un sentiment de maturité. Le prototype du jeu a tourné bien avant la campagne. Certains ont pu y jouer à P.E.L. en juin de l’année dernière et ont pu voir les évolutions apportées depuis. Dreamscape est favorablement commenté et accueilli ce qui en fait un projet assez attendu.
Sur le plan esthétique, il est intéressant de noter que l’auteur et l’illustrateur sont une seule et même personne, ce qui explique la cohérence onirique du jeu. Elle n’est d’ailleurs pas étrangère au bon démarrage de la campagne de financement.
Rêve éveillé
Sylex, la maison d’édition, va-t-elle réussir une campagne de rêve pour son premier projet sur Kickstarter ? Ses trois membres fondateurs sont bien partis pour et cela fait plaisir de voir un éditeur hexagonal tirer pleinement profit de la plateforme de financement participatif. Nos « frenchies » ont concocté une campagne solide qui alterne améliorations de matériel et ajouts d’éléments de gameplay.
Il faut noter que les Stretch Goals cosmétiques ajoutent un vrai plus à l’expérience de jeu et renforceront encore plus l’immersion (à l’exemple des arbres ou des pions M. Cauchemar, des dormeurs et des rêveurs). Les cartes débloquées se révèlent petit à petit être de véritables extensions incluses dans le pledge tandis qu’elles devraient être payantes en boutique.
Ainsi en est-il de l’extension Neige, qui propose une nouvelle utilité aux fragments de rêve blanc. Elle y associe un joli pion Bonhomme de neige et un plateau de jeu dédié. Elle s’ajoute à la mini extension Rêves profonds offerte dès le lancement. À présent, la campagne se poursuit en dévoilant les cartes d’une nouvelle extension possible, axée sur les cauchemars (une variante proposée en règles avancées).
Seuls deux add-on payants (à un tarif qui mérite réflexion) sont proposés à l’heure où ces lignes sont rédigées : l’une basée sur les vœux, l’autre sur les animaux. Les deux semblent vraiment optionnelles et le jeu parait se suffire à lui-même. Tout jouer en même temps pourrait même devenir indigeste. Ces add-on sont à prendre comme autant de variations pour renouveler l’expérience. À tout cela vient s’ajouter de nouvelles tuiles Objectif qui diversifieront l’expérience de jeu pour une plus grande rejouabilité.
Bref, il y a là de quoi multiplier les options de jeu pour celles et ceux qui trouveraient Dreamscape un peu trop « léger ». Le all-in proposé en fin de campagne simplifiera la vie de ceux qui envisageaient ces options et se révèle assez incitatif pour les hésitants. Le soutien de base, sec, semble toutefois bien suffisant, le jeu paraissant naturellement déjà fort riche.
Marchand de rêves
Après un départ en fanfare, la campagne Dreamscape a poursuivi sereinement son parcours sur un rythme de financement constant. Les amateurs de mode solo seront satisfaits de voir que le financement a permis de débloquer cette variante. S’il n’y a point d’agitation inutile, cela n’en fait pas une campagne ennuyeuse, juste régulière. Une fois encore, les porteurs du projet viennent fréquemment échanger avec la communauté cwowd et cela s’avère très constructif. En tout cas, la preuve est faite qu’une campagne de crowdfunding ne fonctionne pleinement que si elle vend… du rêve !
Il est vrai que Dreamscape rejoint un grand nombre de jeux de société qui déclinent l’onirisme. Il démontre, s’il en est encore besoin, que le thème du rêve est toujours porteur. Mais Sylex le transpose ici dans une catégorie où il n’était pas, ou peu, décliné. Or, oui, même les joueurs les plus velus ont le droit de rêver !
Et si l’expérience de jeu est aussi intense qu’elle semble le proposer, elle pourrait laisser exsangue (et satisfait ?) plus d’un joueur. Même si, après, celui-ci ne pourrait aspirer à rien de mieux…qu’une bonne nuit de sommeil.
NDLR : l'auteur a émaillé son texte de nombreuses illustrations musicales. Plus ou moins cachées, et souvent inavouables comme références culturelles. J'ai presque eu envie d'ajouter des players Youtube à chaque fois mais je vous l'ai épargné (pour ne pas alourdir trop l'article^^). Saurez-vous les retrouver ?
La page KS de Dreamscape et le forum où on en discute