Certains kickstarters sont simples à analyser et d'autres de vrais casse-têtes. Jeanne d'Arc est probablement le plus complexe que nous ayons eu à analyser; sa campagne nous fait penser à ces restaurants asiatiques où on vous propose un menu de 40 pages agrémenté de 3 formules sur lesquelles vous finissez par vous rabattre quand vous en avez marre de réfléchir à votre commande.
Commençons par l'essentiel : le jeu. De ce côté, c'est simple car le système est très bon et sa souplesse permet d'envisager à peu près n'importe quoi. Ce qui, hélas, est aussi la source des problèmes : Mythic Games a en effet opté pour une campagne exploitant l'éventail des possibilités offertes. Outre le jeu d'affrontement "de base", utilisant quelques unités/personnages sur une surface équivalente à un village avec des personnages non joueurs offrant de l'interaction (à la façon d'un RPG), Jeanne d'Arc est aussi proposé comme jeu de bataille à grande échelle, jeu coopératif d'enquête, jeu de gestion de ressources, jeu de rôle... il ne manque que le party game Jeanne d'Arc avec un loup-garou dans le village. Une part d'historique, une autre de fantastique pour satisfaire tout le monde.
Blague à part, si plusieurs de ces possibilités sont uniquement proposées en achat optionnel, et peuvent donc être considérées comme anecdotiques, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la pertinence de proposer une boîte de base à $120 (hors frais de port) pour satisfaire aux besoins du jeu de bataille comme du jeu scénarisé. Certes, le rapport tarif/contenu est excellent, la boîte débordant de matériel. Mais pour celui qui souhaite ne jouer qu'au contenu scénarisé, autrement dit le jeu de plateau qui intéresse le plus grand nombre, quelle portion de ce matériel sera réellement utile ? De même, on regrette énormément que les Stretch Goals, aussi généreux soient-ils, intéressent essentiellement le joueur "bataille". Pour le joueur "scénarisé", beaucoup semblent condamnés à prendre la poussière.
C'est tout le souci de cette campagne que d'avoir essayé de mener deux combats de front avec un jeu qui, de fait, est devenu un deux en un. Si les deux aspects du jeu vous plaisent, c'est un peu Noël avant l'heure. Si la partie wargame en 15mm vous intéresse, votre décision devrait aussi être assez simple, vu la qualité et le coût à la figurine; ce sera surtout fonction de votre budget.
Pour le plataleur, c'est nettement moins simple. Et on serait presque tenté d'inciter à attendre une sortie boutique dans un format plus centré sur le jeu de plateau... si cette option était gravée dans le marbre. Malheureusement, elle nous semble incertaine. Même conseiller des extensions est délicat : le Compendium ajoute une campagne avec plusieurs scénarios mais paraîtra onéreux pour ceux que la peinture du 15mm ou la création de décor n'intéressent pas; Siège est déconnecté, et constitue un jeu en lui-même (mais waouh! le matériel); Ars Nova crée une variation coopérative/enquête intéressante (là aussi, un tout autre jeu); Unleash Hell devrait séduire beaucoup de monde; le dragon nous inquiète quant à sa jouabilité/rejouabilité; le village est tout de même assez onéreux -tarif logique vu le matériel- pour deux scénarios qui sortent du cadre "normal" du jeu. Et aucun bundle ne nous semble réellement correspondre...
Au final, et parce que nous sommes avant tout des boardgamers, cette campagne aura suscité plus de grincements que de satisfaction. Maintenant que l'offre finale est connue (ou quasiment), le bilan penche tellement en faveur du jeu de bataille que nous avons bien du mal à retrouver, dans cette avalanche de plastique, le jeu de plateau qui nous avait enthousiasmé à Cannes ou lors du tour de France de la Jeanne. A vouloir plaire au plus grand nombre, Jeanne nous semble avoir perdu un peu son âme; le "et et" a vite tendance à ressembler à un "ni ni".
Nous avons de plus énormément de mal à cautionner les campagnes jouant l'urgence et l'exclusivité pour inciter à dépenser plusieurs centaines d'euros pour l'achat d'une gamme entière sans que les joueurs aient pu réellement essayer le jeu (et pas seulement sur une partie démo d'un scénario s'y prêtant bien). Et se forger une opinion.