Opération Archéo est le premier jeu de Monsieur Mathieu Baiget. Et c'est un vrai bon jeu coopératif qui permet, une fois n'est pas coutume, de se cultiver et ce sans même s'en rendre compte. Ce qui est bon signe. La campagne Ulule est toujours en cours, et si vous désirez en savoir plus sur le jeu lui-même, je vous ai écrit un petit article à cet effet ici.
Mathieu est une personne pour laquelle l'adjectif de "passionné" est presque un euphémisme. Et de la passion, il en faut pour se lancer dans l'aventure de l'édition en solo d'un jeu de plateau au thème un tantinet moins sexy que des zombies, des grands anciens ou des dragons.
J'ai eu le plaisir de le rencontrer et de faire une partie de son jeu lors de la convention Octogônes à Lyon au début du mois d'octobre 2017. Il a bien voulu répondre à quelques questions, et pas brièvement du tout, comme vous allez le constater. Je vous laisse donc avec un jeune auteur attachant qui sait très exactement ce qu'il fait, pourquoi il le fait et surtout comment il ne veut pas le faire.
► Bonjour Mathieu, et tout d'abord merci d'avoir pris le temps de répondre à mes questions. Commençons par le commencement : peux-tu te présenter ?
Je m'appelle Mathieu Baiget, j'ai 31 ans. Je suis archéologue de métier et grand amateur de jeux. Je suis un touche-à-tout curieux de tout qui adore lire, créer, jouer et se cultiver. J'ai travaillé au service archéologique de la ville de Chartres pendant quatre ans et demi, et avant cela un an dans l'Allier. Je suis de retour sur Perpignan, ma ville natale, depuis un peu plus d'un an. C'est à Perpignan que j'ai finalisé Opération Archéo et que j'ai créé ma société d'édition, Ludiconcept, avec l'espoir de pouvoir continuer l'aventure et créer de nouveaux jeux.
► Tu es donc joueur, mais quelle sorte de joueur es-tu ?
J'ai longtemps cru que le jeu de société n'était pas pour moi, car je n'aime pas la compétition. Je n'aime pas les jeux dans lesquels il y a des gagnants et des perdants. A l'origine, je suis plutôt joueur de jeu de rôle, car en jeu de rôle, les joueurs jouent tous ensemble : ils incarnent généralement un groupe soudé avec des objectifs communs. La révélation du jeu de société, je l'ai eue sur le tard, quand j'ai découvert que le jeu de société coopératif existait. La claque que j'ai prise ce jour-là ! Forcément, je suis très fan de jeux coopératifs. J'ai également appris à aimer les jeux compétitifs, mais plutôt sur le plan de la curiosité intellectuelle : comprendre comment ça marche, voir quels choix de gameplay l'auteur a fait... et bien sûr, passer un bon moment avec des gens sympas, parce que les joueurs sont souvent des gens sympas. 🙂
J'aime les jeux qui plongent les joueurs dans une ambiance, dans un univers. Je recherche en jeu de société un peu ce que je recherche en jeu de rôle : des jeux immersifs, avec une histoire à raconter, de préférence des jeux longs. Des jeux où le thème et la mécanique sont intrinsèquement liés. Des jeux où l'on ne gagne pas en additionnant les points de victoire, où la victoire peut être en demi-teinte. J'ai joué à pas mal de trucs, mais je n'ai pas une expérience encyclopédique du jeu de société, il me reste encore beaucoup de grands classiques dans ma liste de trucs à tester.
► Quelles sont les motivations qui t’ont poussé à créer Opération Archéo ?
Houla ! Comment répondre à cette question sans écrire 10 pages ? Opération Archéo est tellement lié à ce que je suis, à ma vie... J'ai trois passions, trois marottes, on pourrait même dire trois obsessions dans la vie : L'archéologie, le jeu et la transmission. Je me pose depuis toujours la question : Comment transmettre mes passions, comment faire découvrir une discipline au grand public, comment élargir le public et toucher des gens qui ne sont pas traditionnellement sensibles à une discipline ? Je me suis investi dans une association de lutte contre le pillage, dans la Fédération Française de Jeu de Rôle, avec la même volonté à chaque fois : transmettre, faire découvrir, enseigner au plus grand nombre. Je tiens ça de ma mère, professeur d'Arts plastiques.
L'idée d'un jeu sur l'Archéologie m'est venue naturellement, et rapidement, comme un moyen de toucher un nouveau public, d'intéresser des gens différents à cette discipline. C'est facile de d'apprendre à un public déjà sensibilisé. Mais comment faire découvrir l'archéologie à quelqu'un qui ne s'y intéresse pas ? Le jeu est une super solution. Quand j'ai un joueur qui me dit "l'archéologie, je m'en fous, mais j'ai passé un super moment avec ton jeu, et j'ai appris des choses", eh bien le pari est gagné. Quand j'incite quelqu'un à pousser la porte d'un musée, le pari est doublement gagné.
Opération Archéo, c'était aussi un moyen de valider un concept théorique. Les "serious games", les jeux sérieux, sont en plein développement. Le jeu a longtemps été boudé par la société, on considérait que c'était une sous-culture, un truc d'ados attardés ou d'adultes qui refusent de grandir. Depuis les années 70, le jeu - vidéo, de rôle, de société - se développe et il devient une culture à part entière, avec ses propres codes, son histoire, ses intellectuels, ses communautés. Peu à peu, les pédagogues, les professionnels de l'éducation ont commencé à percevoir tout son intérêt sur le plan pédagogique. On est dans une phase de transition dans laquelle on commence à voir tout l'intérêt du jeu, et du coup on crée des "jeux sérieux", des jeux à objectif éducatif. Sauf que le jeu reste encore une science "inférieure" dans l'esprit de ces gens, et ils sous-estiment l'importance du game-design. Ces "serious games" sont d'excellents outils pédagogiques à utiliser en classe, mais ils ne sont clairement pas de bons jeux.
Je me suis demandé s'il était possible de créer un "jeu sérieux" qui soit à la fois un outil d'éducation ET un outil de divertissement. Ça n'avait jamais encore été fait à ma connaissance. J'ai passé deux ans à répondre à cette question et la réponse est "OUI !". J'ai créé un jeu qui sera vendu en boutiques de jeux, joué en ludothèques et en associations de JDS, utilisé comme outil de médiation et d'enseignement, dans les musées et dans les écoles. Cette capacité d'être à la fois un vrai jeu et un vrai outil d'enseignement a été au cœur de mes préoccupations de game-design. Je suis fier d'avoir réussi, d'avoir montré que c'était possible, que divertissement et éducation n'étaient pas contradictoires. Pour moi, c'est un moyen de contribuer humblement à démontrer que le jeu de société est une culture à part entière et qu'on ne saurait l'opposer à des objectifs éducatifs. Quand tu es pédagogue et que tu crées un serious-game par exemple, si tu veux faire du bon travail, eh bien recrute un game-designer, un expert du jeu, et fais tester ton jeu par des joueurs, sinon tu fais seulement la moitié du boulot.
Bon, accessoirement, la principale raison qui me pousse à créer des jeux, c'est que j'aime ça. J'aime autant créer des jeux qu'y jouer. Je trouve ça très motivant intellectuellement. Un jeu, c'est une société en miniature. C'est un système bien huilé dont toutes les mécaniques tournent admirablement pour produire des effets définis à l'avance. Pour moi, le jeu n'est pas seulement un produit culturel, je le perçois également comme une forme d'art.
► Peux-tu nous résumer les étapes de la création du jeu, jusqu’à la campagne sur Ulule ?
De 2009 à 2015, j'ai beaucoup bricolé, notamment du côté du jeu de rôle. J'ai présenté un avant-projet de jeu de rôle sur l'archéologie à une grande administration archéologique sur Paris, et ça m'a fait prendre conscience du potentiel d'un jeu à la fois ludique et éducatif. Mais le jeu de rôle était trop difficile d'accès, pas assez grand public pour ce que je voulais faire. Fin 2015, j'ai perdu mon emploi, et j'ai choisi de me consacrer à fond au développement d'Opération Archéo, dont j'avais eu l'idée peu de temps avant.
2016 a servi à créer un prototype, à tester, modifier, retester, remodifier, re-re-tester, etc... sur plus de 20 versions de prototypes différentes. La première moitié de 2017 m'a permis de valider l'intérêt du jeu tout en le fignolant. J'ai présenté Opération Archéo à des joueurs expérimentés, à des musées, à des enseignants. Au total, je l'ai fait tester à plus de 250 personnes avant de considérer le jeu comme abouti. La deuxième moitié de 2017 m'a permis de créer la société d'édition et de finaliser Opération Archéo. J'ai recruté les différents prestataires : Illustrateurs, graphistes, développeur, imprimeur... Désormais, le jeu est finalisé et la campagne est presque terminée. Maintenant, j'aborde la deuxième phase du projet : faire d'Opération Archéo une réussite commerciale, afin d'avoir le budget nécessaire pour financer mes projets suivants. Créer et éditer un jeu, ça coûte cher !
► Qui sont les auteurs des illustrations ?
Yohann Colney a réalisé les six personnages. Il est étudiant à l'IDEM, l'école d'Arts graphiques du Soler, le village où je travaille. Christophe Palma est illustrateur de BD et professeur à cette même école, il a illustré la boîte, les objets archéologiques et les jetons. Je me permets également de citer mes graphistes, Nathalie Paré, de l'entreprise de communication responsable 18Printemps, et Julien de Jaeger, graphiste freelance. Ils ont tous fait un boulot formidable.
► Pourquoi avoir choisi une fabrication en France, forcément plus onéreuse ?
Je voulais créer un jeu de société qui ait du sens et des valeurs. Fabriquer en Chine répond à un seul objectif : réduire les coûts. Comment réduit-on les coûts ? En payant les gens moins cher. Cette dynamique actuelle me dérange. En produisant en Chine, j'avais le sentiment de contribuer à une forme de dumping social, de contribuer à favoriser les systèmes sociaux les moins protecteurs, au détriment du système social plus protecteur que nous avons en France. Je suis bien conscient que je ne referai pas le monde à moi tout seul. Peut-être que je serai obligé de faire comme tout le monde pour mes jeux suivants, de produire en Chine pour être concurrentiel en termes de tarifs. Pour ce premier projet, j'avais besoin de prouver qu'on peut faire un jeu humain, social, qu'on peut avoir une démarche créative, originale, éducative et ludique, que les barrières sont dans notre tête avant tout. J'avais besoin d'ouvrir des portes, de libérer mon propre esprit en me prouvant que tout est possible.
J'espère pouvoir garder la même démarche à l'avenir, pouvoir faire mentir tous ceux qui affirment qu'il n'est pas possible de faire autrement. Je refuse de me résigner à vivre dans un monde dans lequel tout serait écrit d'avance ! Je préfère vivre dans un monde dans lequel le travail, la volonté, l'audace et la persévérance nous permettent d'accomplir nos rêves, sans perdre de vue nos idéaux.
► Parlons un peu "participatif". Pourquoi avoir choisi Ulule comme plateforme de financement et non Kickstarter ?
Cela me semblait cohérent, pour un jeu intégralement francophone, développé et fabriqué en France, de passer également par une plateforme française. Kickstarter me semble plus adapté à des jeux anglophones ou traduits en anglais. Je ne pouvais pas gérer une sortie bilingue immédiate pour ce premier projet. Par ailleurs, mon jeu s'adresse à un public très varié et Kickstarter est une plateforme qui me semble très orientée hardcore gamer. Je connais des gens qui ont acheté Opération Archéo pour leurs petits-enfants : Ulule est plus clair et plus rassurant pour un public peu habitué au financement participatif.
Si je devais faire un jeu uniquement orienté "gamer" (j'ai quelques projets dans mes cartons 😉 ), ou si je devais proposer un jeu avec traduction anglophone, je passerais probablement par Kickstarter pour toucher plus de monde, même si à titre personnel je trouve Ulule plus ergonomique.
Et bien, un grand merci Mathieu pour avoir répondu aussi longuement à mes questions. Et surtout, nous te souhaitons le meilleur pour la campagne et l'avenir de Opération Archéo. Et, espérons-le, à très bientôt sur Cwowd pour la présentation d'un de ces jeux plus "core" que tu as sous le coude !
L'article de @gougou69 pour en savoir plus sur le jeu et le forum où on en discute pour toutes vos questions.
Pingback: Jouons ! – Le blog de Cyrille BORNE
jfmagic16
Bien cool cet interview ! Merci Gougou et Mathieu
8FistS
Super !!! Excellent article !!! Meeci pour ce partarge !