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A l’heure des livraisons et malgré un retard raisonnable, retour sur un des meilleurs jeux 2016 révélé par Kickstarter. Il serait fort dommage d’oublier Santorini dans les éloges de fin d’année, tant le jeu, déjà apprécié en tant que tel, s’est métamorphosé au fil de la campagne de financement. La campagne KS orchestrée par Roxley Games est largement à la hauteur des qualités du jeu. Par sa régularité et sa maîtrise, elle devrait faire référence pour les futurs porteurs de projets.
La campagne KS de Santorini est un exemple de campagne carrée, avec d’excellents reliefs et qui a su atteindre des sommets. Carrée... comme son plateau d’ailleurs. En relief, comme l’habillage du jeu concocté par la Team Roxley et la multiplication des "Stretch Goals" (SG) intelligents. La campagne a atteint plus de 700 000 dollars canadiens, une somme remarquable pour ce type de jeu, et plus de 7000 backers ont élevé le jeu aux portes même du Royaume de Zeus, bien au-delà des sommets espérés.
Qui aurait imaginé cela au début de la campagne ? Avec raison, les commentaires sur cwowd étaient réservés, voire mitigés. « Trop cher » était la principale critique, surtout pour un jeu connu depuis 30 ans et particulièrement abstrait dans sa forme, ce qui avait de quoi en rebuter plus d’un. Seule une participation en pledge groupé permettait au départ d’obtenir le jeu à un prix raisonnable par rapport à sa version boutique (s’il l’est un jour en Europe, soit-dit en passant !)
Le tour de force de Roxley Games a été de donner du concret et du tangible à ce jeu tout en lui gardant son univers et ses mécaniques. La mise en plateau, sur une île, fait passer le jeu au statut d’objet de curiosité ou décoratif qui peut trouver sa place dans un salon. La mise en image du panthéon grec qui accompagne et renouvelle le gameplay est colorée, claire et accessible à tous les publics. Certains enseignants ont même contacté l’éditeur pour pouvoir utiliser les illustrations en cours !
La campagne en elle-même, fut remarquablement menée, avec des actus régulières sans être trop nombreuses et qui ont su accompagner l’évolution du financement. Je trouve génial d’avoir su intégrer à la fin de la plupart de ces actus, une énigme ou un défi mathématique concocté par le Docteur Gord, illustré dans la même veine que le jeu et son panthéon. Ainsi, outre le plaisir de recevoir l’actu suivante, qui annonçait régulièrement un nouveau palier atteint, le backer avait le plaisir de pouvoir se triturer les méninges et en parler avec la communauté, puis de vérifier la réponse à l’occasion de l’actualité suivante.
Un lien backers-éditeur construit étage après étage.
Cette communication et, je pense, l’existence d’une "fan base" importante qui n’avait jusqu’alors pour jouer que le matériel qu’elle se fabriquait elle-même, a permis à la campagne de prendre son envol pour dépasser toutes les espérances de l’éditeur. Un autre bel exemple d’interaction avec son public de la part de Roxley Games est d’avoir su publier les photos des « Santorini » créés par les joueurs eux-mêmes, avec un réel talent pour la plupart, ce qui valorisait tout autant le matériel mis en œuvre pour cette édition canadienne.
La campagne KS fut naturellement prise dans un cercle vertueux : les SG ont été atteints les uns après les autres à une vitesse spectaculaire. Cela a pris les éditeurs au dépourvu plus d’une fois et a même fait exploser l’ordinateur d’un des illustrateurs au beau milieu de la campagne! Cependant, la Roxley Team a su faire preuve d’un remarquable talent d’adaptation pour suivre le rythme et proposer, avec l’auteur du jeu, de nouvelles cartes et de nouveaux mécanismes en guise de SG supplémentaires quand tous ceux prévus furent débloqués. En ajoutant des cartes, ils ont diversifié l’expérience de jeu pour accroître largement sa rejouabilité sans mettre pour autant en péril, d’une part la mécanique de jeu, et d’autre part la production de cette édition. Comme cela a été dit sur le forum, c’est le genre de SG intelligent et utile qui valorise une campagne. Résultat, le jeu dispose à présent de 52 cartes Dieux/Héros. Il n’y en avait que cinq au départ.
Le point charnière de la campagne fut l’annonce de la réorganisation du jeu et de sa composition. Jusque-là, toutes les cartes, tous les SG étaient prévus pour être disponibles dans la future version boutique. Bref, pas d’exclusivité Kickstarter ! Puis, au vu du nombre de cartes ajouté, la Team Roxley a prévu de mettre une partie des cartes dans le jeu de base et le reste dans une extension qui toutes deux seront vendues en boutique. Mais Roxley Games a décidé en cours de campagne que tous les backers bénéficieront du jeu ET de l’extension, directement. Ce choix du « all-in » disponible uniquement sur Kickstarter a vraiment valorisé l’offre et a fini de la rendre attractive, comme en témoigne une fin de campagne en apothéose.
Pour clore cette campagne, Roxley Team a eu également l’élégance de remercier les backers avec trois cartes supplémentaires, crées pour l’occasion. Le geste a été unanimement apprécié.
Des règles de communication bien posées et respectées.
Si la campagne fut une réussite pour toutes les parties, l’après-campagne est un modèle de suivi respectueux de la communauté fédérée autour de Santorini. Dès le début, Roxley Team a posé ses règles : une actualité tous les 15 jours. Ce fut dit et ce fut tenu! Le rendez-vous fut régulier avec des annonces plus ou moins importantes. Chaque update a fait l’objet d’un tableau d’avancement du projet, parfois remanié pour l’ajuster mais sans camouflage ni artifice. Cette régularité a établi un climat de confiance et de sérénité que n’a pas entaché l’inévitable retard de production et donc de livraison. L’annonce de ce délai fut également très bien gérée; le message est factuel, direct et intelligent : il y a un problème, donc une solution et une conséquence. Les excuses viennent ensuite en même temps que la responsabilité assumée. Imparable, indiscutable. La photo des prototypes des pions vient à propos pour adoucir la mauvaise nouvelle. Ouf, la production continue ! Certes, ce retard fait que Santorini n'allait pas être sous le sapin de Noël, ce qui se révélait stratégique. Il viendra pourtant réchauffer et animer les soirées d’hiver du début 2017. (NDLR: les boîtes Zeus, édition "deluxe" ont bien été livrées avant Noël).
Et de quinze jours en quinze jours, Roxley Team a accompagné l’attente de ses backers jusqu’à l’annonce des envois et des premières livraisons. C’est alors qu’ils ont choisi d’accélérer le rythme des communications en fonction de l’avancement des bateaux et du dispatching par zones. Tout le monde n’est pas livré au même moment, c’est vrai. Les backers de l’édition Deluxe « Zeus » d’abord, comme promis. Il y a ensuite un décalage de livraison entre certains continents, cela aussi est acté, assumé et, surtout, suivi. Mais finalement, beaucoup de backers ont reçu leur jeu avant Noël, ce qui était inespéré peu de temps auparavant. Il convient de souligner l’effort fait par Roxley Games pour parvenir à ce résultat.
A l’heure où j’écris ces lignes (NDLR : 22 décembre), j’attends ma version du jeu car je ne fais pas partie des soutiens européens proches des Dieux (comprenez que je n’ai pas pris la version Zeus collector). Cependant, les personnes ayant reçues leur jeu sont enchantées et le font savoir. Le matériel est de qualité, le jeu se met rapidement en place et, avec ses niveaux de difficultés variés, il est accessible à toute la famille. Il y a quelques incidents de livraison, bien sûr; le plus notable étant que, aux Etats-Unis, nombre de backers ont reçu leur jeu avant de recevoir la notification de livraison par mail. Une bonne surprise finement relayée.
Pour l’Europe, le dispatching est prévu à partir du 3 janvier. Avec la livraison en Océanie, au Moyen-Orient et … au Canada (les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés dit le proverbe), cela devrait clore la campagne Santorini.
D’ores et déjà, celle-ci peut être considérée comme exemplaire dans son organisation et sa gestion. Elle a bénéficié d’un travail préparatoire en amont (30 ans d’existence du jeu qui a forgé une communauté de connaisseurs!), d’une communication en campagne et post campagne parfaitement maîtrisée, d’une adaptation intelligente qui a suivi l’évolution du financement en agrémentant l’offre de façon attractive, d’un bon suivi de production malgré les aléas et d’une livraison soignée et particulièrement bien accompagnée, ce qui fait la valeur de Roxley Games (déjà reconnu pour cela lors de la livraison de leur précédent jeu Steam Punk Rallye).
Le jeu et sa campagne sont parmi les meilleures expériences Kickstarter de 2016 pour les relais d’opinion et les backers.
Et beaucoup de porteurs feraient bien de s’en inspirer pour mener leurs projets !
A l’exemple de cette campagne Santorini, ne vaut-il pas mieux participer à un projet certes cher au départ mais parfaitement maîtrisé par son éditeur ? Pour un backer, c’est une expérience différente mais gratifiante par rapport à un projet passionné, débordant d’envies et d’idées mais qui risque d’être retardé dans sa concrétisation et de laisser place à une frustration car le produit final ne sera pas à la hauteur de la projection imaginaire et des promesses initiales.
De Santorini, il reste une grande satisfaction d’être impliqué dans une campagne à succès délivrant au final un jeu de qualité, dans sa mécanique comme dans son matériel, que l’on aura plaisir à sortir et jouer pendant très longtemps. C’est (presque) aussi beau qu’un séjour ensoleillé dans les îles du Santorin…
(NDLR : presque^^)
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