La tendance du moment est aux reprints, rééditions, etc. Quel que soit l'alibi fourni, de plus en plus de jeux à succès reviennent sur Kickstarter pour une seconde campagne. Un retour parfois motivé par la difficulté à faire vivre le jeu en boutiques, rendues inabordables par les marges successives des différents intervenants alors que les coûts de fabrication ont dépassé les prévisions. D'autres jeux, qui ont connu un succès plus modeste, essaient de profiter de cette tendance pour se faire une place au soleil.
Et, tout à coup, Kickstarter semble rempli de "re" plutôt que de créations à proprement parler.
On peut trouver à y redire, justifier que le crowdfunding n'a jamais été pensé pour cela. Sauf que, dans les faits, le crowdfunding n'a jamais été créé que pour permettre un financement par le nombre, peu importe la raison. Ou le besoin. Mais les joueurs se plaignent plus souvent que ces retours s'accompagnent d'une hausse des tarifs... significative.
Ils sont revenus et ont revu leurs chiffres
Premier gros "reprint", Kingdom Death: Monster a lancé la tendance. Et s'est offert le record de financement pour un jeu : 12,4 millions de dollars. Au passage, le prix de la boîte de base a doublé (et même plus avec les Early Birds).
Peu de temps après, Gloomhaven a enchaîné et est allé, lui, chercher le record du nombre d'engagements pour un jeu de plateau (on oubliera pour l'anecdote les jeux "communautaires" genre Exploding Kittens). 40642 contributeurs pour un jeu qui est passé de $79, lors de la première campagne, à $99 lors du "second printing".
Et c'est actuellement le tour du 7ème Continent, actuellement en financement. Cette fois, le pledge de base, qui était proposé à 59€ passe à $80 (68€ au taux actuel). L'équivalent du pledge Survivor, avec trois malédictions en plus, passant, lui, de 89€ à environ 110€.
Pourquoi ça devrait râler ?
Économiquement, une réédition coûte bien moins cher qu'un premier tirage. Les artistes sont payés, le développement est censé avoir été amorti (on est dans la théorie, là) et il n'y a plus qu'à "appuyer sur le bouton" pour produire un nouveau lot.
Inutile de nier cet argument : un éditeur gagne en effet bien mieux sa vie sur un retirage. D'autant plus que les trois exemples cités ont pu en profiter pour faire un plus gros tirage. Et donc réduire encore un peu leurs coûts de fabrication.
Mais encore faut-il que les éditeurs aient gagné leur vie avec le premier tirage.
On le sait au moins pour Gloomhaven, et probablement pour Le 7ème Continent, l'éditeur a largement sous-estimé les différents coûts et frais. Ce qui est souvent le cas des primo-éditeurs, faute d'une expérience suffisante du "milieu". Coûts qui dépassent les prévisions, frais inattendus qui surgissent de partout, transport dont les tarifs explosent, SAV, ventes en boutiques qui ne rapportent pas autant que prévu, frais et coûts du stockage qui s'accumulent... à chaque fois, la marge fond et le bénéfice disparaît.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles nous préférons citer le nombre de souscripteurs d'une campagne plutôt que le montant levé : les nombres à 7 chiffres ont tendance à fausser la réalité. On voit le Chiffre d'Affaire et il devient difficile d'imaginer que ce gros chiffre peut accoucher d'un bénéfice ridicule. Voire d'une perte.
Il ne faut pas non plus oublier que, dans l'édition de jeu, le temps de développement n'est quasiment jamais compté dans les frais. Si c'était le cas, vous ne verriez pas autant de jeux en boutique. De même, l'illustration est souvent faite en amont de la campagne de financement (au moins en partie); la campagne de financement n'a donc pas non plus servi à financer ces frais, qui étaient investi en amont. Et peu importe le résultat du financement.
Enfin, l'inflation et les différentes hausses de tarif (transport notamment, qui peuvent beaucoup évoluer d'une année à l'autre) rendent de toute façon "normale" une hausse des tarifs.
C'est pas normal qu'ils paient pareil !
A l'autre extrémité du spectre des récriminations, les soutiens de la première heure trouvent souvent juste que les nouveaux venus, 12 ou 24 mois plus tard, bénéficient de conditions moins avantageuses.L'idée étant que celui ayant pris le risque (tout est évidemment relatif), lors de la première campagne, bénéficie d'un peu plus d'attentions que celui qui rejoint le navire, un ou deux ans plus tard, en bénéficiant des avis positifs des premiers.
Il suffit d'inverser le raisonnement pour comprendre ce point de vue : vous payez $100 aujourd'hui et, dans 18 mois, le même éditeur revient et propose le jeu à $90. Ou inclut dans le nouveau pledge une extension que vous aviez du payer en achat optionnel. Alors, heureux ?
En toute franchise, c'est une opinion que nous partageons. Au moins partiellement car le phénomène de rareté, éphémère, d'un financement qui ne dure que 3 ou 4 semaines, ne devrait jamais servir à discriminer tous ceux qui n'ont pas su que tel ou tel jeu étaient en financement. Les amateurs de crowdfunding sont aujourd'hui bien plus nombreux qu'il y a deux ans. Et la "clientèle" d'il y a trois ans parait ridicule en comparaison. De plus, il nous arrive à tous d'oublier ou, plus trivialement, de ne pas pouvoir à un moment ou un autre.
Si l'avantage au backer de la "1ère heure" est normal, pas besoin non plus d'en faire des tonnes. Inutile de pousser trop loin le bouchon, au point que l'avantage devienne un obstacle pour la suite. C'est un problème que rencontrent par exemple les projets ayant un peu trop abusé de la carte "exclusivité".
Alors, on dit râle ? On chiale ? Ou on pledge ?
Grosso modo, les éditeurs cités en début d'article ont pratiqué une hausse de 25% entre leurs première et seconde campagnes. La seule exception étant Kingdom Death qui a multiplié par deux (et plus)... sans que cela pose le moindre souci.
En considérant que :
- ils ont retiré bien moins de bénéfice que prévu lors du premier tirage;
- ils doivent faire face à une hausse des tarifs des fournisseurs et prestataires (qui se foutent que ce soit leur premier ou dixième tirage) et à de nouveaux imprévus;
- leurs frais en publicité, RP, community management et autres joyeusetés 2.0 explosent;
- leurs frais de fonctionnement ont probablement grimpé en flèche, avec l'embauche de salarié(s) pour gérer le succès initial etc.;
- il leur faut aussi récompenser les premiers souscripteurs qui sont leurs meilleurs ambassadeurs...
Une hausse de 20-25% sur 2-3 ans nous semble très acceptable. En fait, cela paraît même souhaitable; un minimum.
Que les éditeurs puissent bénéficier d'une seconde campagne, plus rentable, devrait les inciter à serrer autant que possible leur marge quand ils lancent initialement leur projet. Qu'un succès puisse se valoriser en boutique ou, désormais, via un second Kickstarter où ils pourront réellement penser bénéfices, incite les éditeurs à penser à plus long terme.
L'exemple de Kingdom Death démontre qu'il est possible d'aller très très loin dans cette logique. Mais il partage un point commun avec les deux autres projets en exemple : le prix initial était largement sous-estimé.
S'il y a bien un reproche qu'on répète encore et encore dans nos analyses de projet, c'est "trop onéreux". Et c'est une phrase qu'on souhaiterait écrire le moins souvent possible tant elle est source de frustration.
Une bonne part du succès de Gloomhaven, Le 7ème Continent ou Kingdom Death tient dans un tarif attractif; suffisamment en tout cas pour inciter les souscripteurs à prendre le risque, à oser le soutien. Réduire le coût de soutien partage le risque entre les joueurs qui minimisent l'impact financier et l'éditeur qui réduit sa marge de manœuvre (au risque de se fermer ainsi les portes de la distribution en boutique).
Certes, le joueur qui arrive plus tard se retrouve à payer plus cher. Mais il n'a pas eu à angoisser pendant parfois 2 ans (enfin, si vous angoissez pour une livraison, évitez le participatif^^). Il peut acheter en toute connaissance de cause, en bénéficiant de l'expérience des premiers. Cela peut sembler une évidence aujourd'hui mais, lors de leurs campagnes initiales, Gloomhaven était un sacré pari et, pour Le 7ème Continent, personne ne savait si le jeu avait le moindre intérêt en dehors du mode solo.
Un système gagnant ?
Dans les cas en exemple, le nouveau tarif, après 25% de hausse, reste très correct par rapport à l'offre disponible en boutique. Ainsi, Monolith, qui s'est récemment offert une mini campagne pour un livre de scénarios, en a d'ailleurs profité pour vider les stocks de Conan en appliquant aussi une réévaluation de 20-25% qui n'a posé aucun souci à personne.
En fait, nous aimerions que plus d'éditeurs jouent cette stratégie d'une offre attractive, qui incite à la participation. En espérant que cette incitation favorise le succès du jeu et permette une réédition plus rentable. Cette stratégie nous semble nettement plus en phase avec le fameux "esprit du crowdfunding" que celle du "Kickstarter finance mon tirage global, je ferai le bénéfice sur les ventes boutiques". Bien trop fréquente, celle-ci revient à une absence totale de risque pour l'éditeur. Et se fait au détriment des souscripteurs payant plein pot (et souvent plus cher qu'en boutique après les remises habituelles); voire au détriment du jeu lui même puisque peu importe alors son succès réel.
Nous préférons, et de loin, un éditeur qui nous fasse payer (un peu) plus cher aujourd'hui de n'avoir pas succombé à ses charmes hier.
*Ryan Laukat vient d'ailleurs de lancer une campagne pour une extension de son jeu Near And Far, où le jeu de base (en quantité limitée) passe de $50 à $75. Soit 50% d'augmentation. Et le démarrage n'est pas aussi explosif qu'on aurait pu s'y attendre. Il fera certainement un joli score mais le surcoût de 50% est probablement excessif.
Thomas
Pour le 7eme continent lors de la 1ere campagne les pledgeurs ont bien eu les SGs… Donc Thierry compare a nombre de cartes égal…. ce qui parait logique…
Mais en effet il y aura les SGs de la 2ème campagne donc plus de contenu pour un prix plus élevé.
HelloItsMe
Aucun n’addon n’a été offert puis et devenu payant sur le 7e continent… C’est tout simplement de la désinformation
thierry
Ce n’est pas rien mais ça ne change rien puisque les SG étaient présents sur les deux campagnes. Le montant du pledge inclut le coût des Stretch Goals, la notion d’offert est très relative; en réalité, on paie les SG même si c’est généralement invisible (pour nous, pas pour l’éditeur qui les a évidemment intégrés à son calcul).
Zemeckis
Super article, que je partage. Perso, je le vois comme ça : le prix « normal » du jeu est celui de la 2nde campagne, le prix de la 1ère campagne était un coup de pouce pour attirer un public. Car il faut le dire : le 1er public est très important. C’est grâce (ou à cause) de lui que le jeu va vivre ou mourir. C’est ce premier public qui va donner des avis, créer une communauté, faire un peu le rôle d’ambassadeur.
Stéphane Marchal
Pour le 7ème continent il faut préciser que le jeu de base est proposé avec tous les stretch goals du premier Kickstarter. Là où ça devient cher, c’est pour le rajout des add-ons de la première campagne. 1 sur les trois était offert et le prix était nettement moindre pour les autres.
nidew
@Christophe Coat : il ne faut cependant pas oublier non plus que souvent, les strech goals sont prévus à l’avance pour faire parti du jeu.
Christophe Coat
Bonjour,
Votre analyse concernant le 7ième continent est fausse.
Le prix du jeu a augmenté, certes, mais il faut quand même souligner qu’il contient TOUS les stretch goals qui avaient été débloqués avec la 1ère campagne. Et ça n’est pas rien.